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Emplacement : Tomifolia, Québec

Un proche cousin d'un bonobo du même nom qui, comme moi, tapait sur un clavier pour communiquer.

23 novembre, 2005

Robin Dunbar "Grooming, Gossip and the Evolution of Language"

L'apparition et l'évolution du langage chez les humains est un des sujets qui me fascinent. C'est le sujet de ce livre de Robin Dunbar: "Grooming, Gossip, and the evolution of Language", dont j'aimerais parler un peu aujourd'hui.

Le langage est un des traits qui nous caractérisent en tant qu'espèce. On le dit unique dans le monde animal, bien qu'en réalité on n'en sache rien puisque si une autre espèce possédait une forme de langage aussi évoluée, verbal ou non verbal, on ne le comprendrait pas à prime abord. Il n'est donc pas impossible que si on porte vraiment attention aux différents modes de communication, on finisse par dévouvrir une autre espèce animale possédant un langage aussi, ou presqu'aussi évolué que le nôtre.

Cependant, tout indique que le langage tel que nous l'utilisons comme mode de communication, est passablement unique par rapport à ce que nous connaissons des autres espèces. De plus, comme le démontre Dubar dans le livre cité ci-haut, l'apparition du langage est bel et bien reliée à la grosseur du cerveau, notamment la grosseur du néo-cortex. Dunbar a démontré une relation entre la taille du groupe d'individus avec lesquels nous pouvons gérer nos interactions sociales, et la grosseur du néo-cortex, et a proposé un seuil à partir duquel le langage est nécessaire pour permettre la gestion des interactions sociales, en remplacement de l'activité de "grooming" (traduction?) courante chez les primates. L'apparition du langage serait alors le résultat d'un ensemble de conditions qu'on ne retrouve pas nécessairement chez d'autres espèces, et la grosseur relative du néo-cortex en serait un indicateur assez fiable.

La thèse de Dunbar est jusqu'à un certain point révolutionnaire, car il lie l'évolution de la taille du cerveau à l'évolution de la taille du groupe social, et non pas à l'évolution des connaissances techniques, comme c'était le cas traditionnellement. Selon Dunbar, nous avons évolué vers des groupes sociaux plus gros, principalement pour nous protéger des prédateurs, et le cerveau a grossi en conséquence pour nous permettre de gérer les interactions sociales plus complexes, et éviter que les groupes se désintègrent. Les connaissances techniques, comme la fabrication d'outils, ne seraient pas le déclencheur de cette évolution, et pourraient même n'en être qu'une conséquence secondaire. L'utilisation du langage comme facteur de transmission des connaissances techniques ne serait pas non plus un point majeur. En fait, Dunbar a démontré que le langage était utilisé principalement pour le "potinage", d'où le titre de son livre.

Le point de vue de Dunbar est très rafraîchissant, et a un pouvoir explicatif et même prédictif très grand. En effet, il a pu établir des courbes de tendances et prédire la taille du groupe typique humain, à partir des données sur les autres primates. Cette taille est d'environ 150 individus, et c'est un nombre qu'on retrouve de façon récurrente comme limite de complexité même dans nos sociétés modernes.

Une des nouveautés dans son approche, en ce qui a trait au langage et à son évolution, est qu'il s'est attardé au contenu plutôt qu'au contenant, comme le font la plupart des linguistes. Le contenu, c'est ce pour quoi nous utilisons le langage. Comme nous l'utilisons principalement pour nous communiquer entre nous des informations sur nos interactions sociales, il est logique d'en déduire que c'était là le principal facteur qui a amené son apparition.

Je crois pour ma part qu'on pourrait aller plus loin dans cette voie. Le langage est peut-être utilisé en majorité pour le potinage, mais pas en exclusivité. En fait, on pourrait probablement distinguer plusieurs "types" de langage, qui auraient des fonctions différentes. Quand on y réfléchit un peu, on se rend compte également que ces types de langage n'impliquent pas seulement le contenu, mais également la forme (le vocabulaire, la syntaxe utilisée), le contexte social (combien d'individus sont impliqués, qui parle, etc.), et même d'autres caractéristiques physiques, soit le langage gestuel qui vient compléter le langage parlé.

Voici un exemple. Vous êtes au bureau, et il y a une réunion à 9h00 pour discuter de l'avancement d'un projet. Vous arrivez un peu à l'avance, et d'autres sont déjà présents. Vous prenez un café, vous saluez les autres et des conversations informelles ont effectivement lieu, c'est-à-dire, effectivement, du potinage. Ces conversations impliquent une attitude physique qu'on pourrait qualifier de "relax", ou détendue (Dunbar souligne que la conversation libère en effet des endorphines...), et typiquement deux, trois, rarement plus que quatre personnes. À un certain moment, la réunion "commence". Il y a toujours un "chef" de la réunion, un président d'assemblée. Celui-ci (celle-ci) signale le début de la réunion, typiquement en haussant le ton par dessus les autres et en faisant un "appel" à tous. Presqu'instantanément, l'attitude physique des participants se modifie. On se met au "garde à vous": les corps se redressent, les regards se portent vers le président d'assemblée. Le déroulement de la réunion implique que tous parlent typiquement à tour de rôle et transmettent une information "stratégique" aux autres. Des décisions sont prises, à la suite de quoi la réunion est officiellement dissoute. Tous reprennent presqu'instantanément leur attitude physique détendue.

Ce type d'utilisation du langage pourrait être nommé "conciliabule". Notez que le langage parlé est ici d'une importance capitale, et que le langage corporel prend une importance un peu plus secondaire, d'où l'attitude physique "neutre": le garde à vous limite l'expression des émotions, qui n'est pas la bienvenue. La capacité du langage parlé de communiquer des informations factuelles, sur la base desquelles des décisions de groupe peuvent être prises, est essentielle au conciliabule. Quel est typiquement l'objet du conciliabule? En s'en tenant à des besoins fondamentaux du groupe, on pourrait dire qu'il s'agit essentiellement d'une concertation portant soit sur la recherche de nourriture en tant qu'elle peut être facilitée par un effort de groupe, ou encore sur un effort de "guerre", soit la protection du groupe, bien que la guerre soit aussi ultimement une façon de s'accaparer des ressources.

Ce qu'on voit dans cet exemple, c'est que le langage est aussi utilisé pour une concertation quant à l'exploitation des ressources, et que cette utilisation est clairement distincte dans sa forme.

L'enseignement est à ce titre une autre forme de langage. Dans ce cas là, on a typiquement une personne (le maître) qui parle, et une ou plusieurs qui écoutent. Aucune décision n'est prise, et on fait aussi abstraction des émotions. Le maître utilise le langage pour transmettre des informations, qui peuvent être soit techniques, philosophiques, ou encore historiques, autrement dit, du "savoir". On remarquera quand même que s'il s'agit de transmission de savoir technique, il y a dans bien des cas une part importante de communication "gestuelle": on "montre" comment faire. On pense ici plus à une interaction entre un maître et un "apprenti", ou encore une mère et son enfant. La communication gestuelle peut dans bien des cas être même plus importante que le langage parlé.

Finalement, un autre type de langage pourrait être celui de l' "appel". Celui-ci n'implique pas de vocabulaire élaboré, puisqu'il ne consiste qu'à "interpeler". On attire l'attention de quelqu'un en criant son nom. N'est-il pas remarquable, en effet, que tous les êtres humains aient un nom? C'est en effet une des premières choses qui est faite à la naissance: nommer le nouveau-né, de telle sorte qu'il ait déjà une existence propre au sein du groupe, et qu'on puisse l'appeller, et parler de lui.

Il s'agit ici d'idées lancées un peu "en l'air". Je l'ai dit: ce blogue est un endroit où je peux me livrer à mes réflexions et vous les faire partager. C'est aussi une façon pour moi de me forcer à les mettre par écrit...

Aujourd'hui, il fait beau et froid. Tiens, voilà encore un autre type de langage: parler de la température...

Les intéressés ont tout intérêt à lire le livre de Dunbar . Vous pouvez aussi visiter son site à l'Université de Liverpool.

Je n'ai encore trouvé aucun ouvrage qui mentionne les différents types de langage dont j'ai parlé ici. Si quelqu'un a des références, n'hésitez pas à me les communiquer! Je suis personnellement un "amateur" dans ce domaine, et je ne connais pas encore tout ce qui s'y fait!