La vie au XXIe siècle

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Emplacement : Tomifolia, Québec

Un proche cousin d'un bonobo du même nom qui, comme moi, tapait sur un clavier pour communiquer.

08 décembre, 2009

Sauver la planète!

Lorsque j'étais chercheur "scientifique", ma compétence était évaluée principalement sur un critère: le nombre de publications dans des revues avec comité de lecture. En retour, ce nombre de publications servait de base dans l'évalutation de mes demandes de subventions et fonds de recherche de toutes sortes. C'est un drôle de système au départ, puisque si on n'a pas beaucoup publié, on n'aura pas beaucoup d'argent, et si on n'a pas beaucoup d'argent, on peut difficilement faire des recherches, et on n'a rien à publier! C'est pour cela que ça prend un certain temps avant de devenir un chercheur "établi".

Lorsqu'on demande une subvention, il faut habituellement remplir un formulaire déjà tout formaté, et bien remplir toutes les sections. Un des critères importants pour justifier le financement des recherches est leur "utilité potentielle". Certains formulaires demandent même d'estimer leur impact économique!

Or à toutes fins pratiques, la plupart des recherches sont inutiles et n'ont aucun impact économique, si ce n'est leur coût, défrayé par les deniers des contribuables! La raison est que le but n'est pas vraiment de générer un impact économique, mais bien de générer des publications dans des revues scientifiques. Mais il faut jouer le jeu, car les cyniques ne sont jamais bien vus. Par exemple, dans mon cas, je prétendais que mes recherches pourraient améliorer les réseaux de communication par fibre optique. Évidemment, le fait que mes subventions représentaient une fraction minime de ce qu'une grosse compagnie comme Nortel dépensait annuellement pour améliorer ses réseaux, et que je n'aurais jamais les moyens de faire mieux qu'eux, tout ça ne comptait pas vraiment. Seule importait la mascarade de prétendre faire oeuvre utile. Le résultat, au bout du compte, dépendait de l'humeur du comité de subventions, et si on y avait ou non des amis, collègues, ou à tout le moins des sympathisants. C'est pour cela qu'il faut éviter de se faire des ennemis.

Si j'étais un climatologue aujourd'hui, et que j'avais à justifier l'importance de mes recherches, ce serait bien plus facile. Il s'agit de rien de moins que sauver la planète, et avec elle l'humanité toute entière. Point à la ligne, est-ce que j'ai besoin d'en rajouter? Si vous ne me donnez pas d'argent pour que je vous montre que nous courons à la catastrophe, la dite catastrophe arrivera inévitablement, et vous serez bien mal pris!

Or qui ne veut pas sauver la planète? Personne. Alors, finançons cette recherche. Elle nous dira donc exactement ce qui était prévu: nous courons à la catastrophe! Plus de fonds, s'il vous plaît, je veux sauver la planète encore une fois. Eh oui! Je le confirme: nous courons à la catastrophe. Mais pour bien le confirmer, je propose de former un groupe avec tous ceux qui prédisent la même catastrophe. Nous allons ensemble compiler le résultat de toutes nos recherches, et vous le redire encore: nous courons à la catastrophe. Nous pouvons même faire cette compilation à tous les quatre ans, juste pour être sûrs que c'est toujours vrai. Plus nous serons nombreux, plus ce sera vrai, c'est bien connu.

Bien sûr, ayant prédit la catastrophe, je serais un héros, et mon statut dans la communauté scientifique en grandirait d'autant. On me nommerait "scientifique de l'année" ou de la décennie, ou même du siècle! Qui sait, on me donnerait peut-être le Nobel! J'organiserais des conférences, je serais éditeur de revue, et je pourrais décider ce qui est publié et ce qui ne l'est pas. Évidemment, j'aurais un penchant pour les recherches qui vont dans le sens des miennes, puisque cela confirmerait mon statut de héros. Si jamais une recherche montrait que la catastrophe n'est pas imminente, que m'arriverait-il? Je plongerais dans l'abîsse de l'insignifiance scientifique. Finis les honneurs, les voyages, les grosses subventions.

Quant à moi, mes petits gizmos à la fibre optique se retrouvent maintenant dans des réseaux à travers le monde, fabriqués par une poignée de compagnies pour qui ils sont le pain et le beurre. Mais pas de place pour moi dans ce milieu de la recherche, et pour cause: je n'ai rien publié depuis dix ans, ayant délaissé ce monde artificiel pour tenter de prouver que je pouvais vraiment être d'une quelconque utilité. Je remplirais avec bonheur toutes ces petites cases des demandes de subventions, et particulièrement celle sur l'impact économique. Mais on me dit qu'il y a d'autres critères, un peu flous, et on me refuse la position.

Alors voilà, je me transforme en vieux bonobo bougon, et je me venge dans mon blogue!