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Emplacement : Tomifolia, Québec

Un proche cousin d'un bonobo du même nom qui, comme moi, tapait sur un clavier pour communiquer.

06 décembre, 2005

Les théories gestuelles du langage

Je vais tenter aujourd'hui de résumer le chapître 5 de "The Dynamic Dance".

La prémisse de départ de Barbara King dans sa discussion de l'origine possiblement gestuelle du langage est celle-ci:

"If the social communication of modern day African great apes relies heavily on gesture, compared to vocalizations, the likelihood is increased that human language was gestural rather than vocal in its origins." (p.181)

Barbara King discute ensuite ce qu'elle considère comme les trois théories à ce sujet qui ont eu selon elle le plus d'influence ces trente dernières années: celles de Hewes, de Corballis, et d'Armstrong, Stokoe, et Wilcox.

Hewes, dans un article de 1973, proposait une approche "gradualiste" de l'évolution du langage, semblable à celle que je décrivais dans mon article de l'autre jour (bien que je n'aie pas lu cet article de Hewes), impliquant un proto-langage, d'origine gestuelle plutôt que vocale. Il considérait en effet que les vocalisations chez les grands singes sont plutôt de type "émotionnel" que "référentiel" ou encore "propositionnel", et ne constituent pas un chemin vraisemblable pour l'évolution du langage humain. King approuve cette thèse, mais la critique néanmoins car elle sous-estime selon elle l'importance de la communication vocale chez les primates non-humains. Il faut dire que les connaissances à ce sujet ont beaucoup augmenté depuis 1973. On a depuis découvert que les vocalisations chez certains singes sont de fait "propositionnelles". D'autres observations chez les grands singes démontrent que les vocalisations ne sont pas des expresssions émotives involontaires (pour de nouvelles données là-dessus, voir le récent article sur le blogue de Carl Zimmer, "The Loom").

La deuxième thèse considérée par Barbara King est celle de Corballis, parue en 2002 ("From Hand to Mouth: The Origins of Language"). Corballis, comme Hewes, considère que les vocalisations chez les primates sont de piètres candidats comme précurseurs du langage. Le langage serait plutôt d'origine gestuelle, les mains étant libérées par l'adoption du bipédalisme. Une mutation aurait ensuite permis de "transférer" ce langage gestuel en un langage vocal. La critique de King concerne entre autres plusieurs erreurs factuelles dans l'ouvrage de Corballis, ainsi que sa sous-estimation de l'importance des vocalisations des primates, qui est moins excusable que chez Hewes vu que les données à ce sujet étaient disponibles en 2002 (et pas en 1973).

King rejette donc toute dichotomie entre le langage gestuel et vocal chez les primates. Ces deux aspects font selon elle partie intégrante de la communication chez ces animaux.

On en vient finalement à l'ouvrage de Armstrong, Stokoe et Wilcox "Gesture and the Nature of Language". Bien évidemment, je ne l'ai pas lu non plus!... J'ai trouvé par contre cet article de Wilcox écrit à l'occasion de la mort de William Stokoe en 2000, qui retrace la carrière de ce dernier. Stokoe a été un pionnier de l'étude du langage par signes, et avait proposé dans les années 60 que le langage par signe devait être considéré comme un langage au même titre que le langage parlé, une thèse controversée et révolutionnaire, qui a donné naissance au domaine de la linguistique du langage par signe. Dans "Gesture and the Nature of Language", avec ses co-auteurs, il propose, selon Wilcox :

"...the notion that the original germ of language was not a signed language or a spoken
language, but a multimodal-multisensory system in which the balance
shifted over evolutionary history from an early system in which the visible
gestural component played a significant role, to a system in which the
acoustic gestural component came to dominate
."

Il n'y a donc plus de dichotomie entre les vocalisations et le langage gestuel. Armstrong et al. proposent également que même la syntaxe est présente dans le langage gestuel, comme elle est présente dans le langage par signes.

Barbara King, finalement, propose qu'à partir de cette "plateforme", on continue à étudier l'évolution du langage en tenant compte du caractère dynamique et co-régulé des interactions.

Elle continue en examinant le rôle probable de l'interaction mère-enfant dans l'évolution du langage. En particulier, elle s'interroge sur le changement que le bipédalisme a apporté, en ce qu'il rend très difficile pour la mère de porter son bébé, contrairement aux autres primates qui le portent sur leur dos. La mère devant souvent laisser son bébé de côté lorsqu'elle se nourrit, cela aurait pu favoriser l'émergence d'une communication vocale plutôt que gestuelle, une thèse proposée par Borchert et Zihlman.

King continue en soulignant certains aspects de la communication entre les grands singes et les humains, en particulier comment elle est elle-même co-régulée, mais surtout comment un lien très profond peut facilement se lier entre un primate et un humain. Elle cite le cas du lien entre Kanzi (moi?, non! mon cousin!...) et Sue Savage-Rumbaugh, dont elle a été elle même témoin. En ceci, elle commente:

"Given that co-regulation is dependent on close attention to subtleties and contingencies, and on mutual adjustment to another's actions, it is surely meaningful for evolutionary reconstructions that individual bonobos, chimpanzees, and gorillas so easily enter into emotional relationships with individual humans. (...) That African great apes can do this attests to their long evolutionary history of participating spontaneously in co-regulation and meaning-construction with diverse members of their own species. "

Une dernière section commente sur le langage gestuel chez les humains, où elle commente et critique l'assertion de Tomasello dont je parlais justement hier, à propos des interactions triadiques chez les enfants humains, opposée à celles strictement diadiques chez les chimpanzés. Comme je le disais hier, cette assertion est démentie par plusieurs observations sur le terrain.

Je n'ai pas encore pris le temps d'expliquer la principale thèse de Barbara King dans son livre, qui porte principalement sur la co-régulation des interactions sociales, ce qu'elle appelle justement la "danse dynamique". J'avais a prime abord de la difficulté à saisir l'importance et l'utilité du concept, et en quoi il diffère des précédents modèles de la communication. C'est vraiment en rédigeant mon "dialogue" que j'ai soudainement compris ce qu'elle voulait dire, car ce type d'interaction dynamique "co-régulée" est apparu spontanément dans le dialogue, et lui donne tout son sens. J'aimerais donc pouvoir en parler plus longuement, mais auparavant je me dois de relire certaines sections, et d'y réfléchir un peu. Patience! Ce blogue me prend un temps fou!

J'espère ensuite m'éloigner un peu de ce "thread" sur le langage et passer à d'autres sujets de réflexion. Un autre de mes dadas: rien de moins que l'interprétation de la mécanique quantique! Ne partez pas tout de suite (déjà que je parle à une salle vide!...). Contrairement à l'étude de l'origine du langage, ceci est un sujet presque tabou chez les physiciens, et on trouve très peu de littérature sérieuse sur le sujet, et beaucoup de merde métaphysique. En fait, c'est une question non résolue que tous les physiciens font semblant d'ignorer ("Shut up and calculate!" aurait dit Feynman, ou David Mermin, ce n'est pas clair).

À moins que je retourne sur Gödel. Le théorême de Gödel est une autre des percées fondamentales du XXe siècle, dont on n'entend jamais parler, et dont tous minimisent l'importance. Ou ne comprennent pas trop les implications. Comme dirait Haddock, c'est à la fois "très simple et très compliqué". Je crois personnellement que c'est relié au problème de la mesure quantique, mais je n'ai pas encore trouvé de façon de formuler ce lien clairement.

Ou sinon, je me pencherai sur l'origine de la morale! Je me suis tapé récemment "The science of good and evil" the Michael Shermer. J'en espérais beaucoup, et j'ai été plutôt déçu. Pinker parle aussi de la morale dans "The blank slate", et j'étais aussi en désaccord, ou plutôt il y avait une faille énorme dans son raisonnement. Pourquoi la morale? Parce que quand on cherche à déterminer en quoi les humains sont différents des animaux, le fait que nous possédions une conscience et des valeurs morales revient souvent comme un argument massue: c'est ce qui nous différencierait fondamentalement du règne animal. Si vous avez lu tout ce que j'ai écrit jusqu'à maintenant (pauvre vous!...), vous aurez deviné que je ne suis pas d'accord! Si vous commencez à me connaître, vous aurez aussi compris que j'ai mes propres idées là dessus!