La vie au XXIe siècle

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Emplacement : Tomifolia, Québec

Un proche cousin d'un bonobo du même nom qui, comme moi, tapait sur un clavier pour communiquer.

08 janvier, 2007

Les sciences sociales et les "valeurs"

Rebonjour humanité! Voici mon premier message depuis le 12 décembre 2005, soit plus d'un an (sauf pour placer un graphique utilisé pour un autre blogue).

Cette année en fut une pour moi de transition. J'étais donc dans un cocon (ça arrive même aux bonobos...). Il semble qu'il soit temps d'en sortir. Je resalue donc tous ceux qui ne me lisent pas, c'est-à-dire l'Humanité toute entière. J'ai appris ce matin que nous serons bientôt cent millions de blogueurs. Comme dirait Daniel Bélanger: cent millions, çà fait beaucoup!

Beaucoup de lecture durant cette année (quoi faire d'autre dans un cocon?). "Beaucoup" est un euphémisme, car c'est plutôt à une orgie de lecture que je me suis livré. Tout cela pour nourrir un projet de livre qui reste à compléter. J'ai appris beaucoup, même si je reste un peu confus quant au thème principal du fameux bouquin, soit de donner une image de la pratique de la science aujourd'hui. On en reparlera, et même sans en reparler directement, toutes ces idées que je brasse viendront colorer mes chroniques futures.

Mais pour aujourd'hui, je voudrais reprendre le collier avec un commentaire sur un livre que je suis en train de lire, dans le cadre d'un cours d'initiation à la science de la communication (prendre des cours est une autre façon d'occuper mon "cocooning"). Le livre s'intitule "La communication modélisée", et porte, vous l'aurez deviné, sur la modélisation de la communication. On parle ici de communication entre êtres humains, et non pas de transmission par fibre optique (ce qui me serait déjà plus familier!).

Je ne suis pas un habitué des sciences "humaines", de par ma formation de physicien. J'ai bien sûr suivi dans le passé quelques cours d'histoire, sociologie et philosophie des sciences, car c'est un sujet qui me tient à coeur. Il s'agit donc ici de ma première véritable incursion dans le domaine. Mon observation portera donc sur la façon dont ceux qui pratiquent cette discipline (l'étude des communications) tentent à la fois d'en faire une science, en adhérant à des critères et à une méthodologie perçue comme "scientifique", mais ne peuvent éviter de retomber dans une pratique qui relève plus de la rhétorique, basée sur la discussion et l'argumentation, plutôt que sur la construction de shémas explicatifs basés, et confirmés par des observations rigoureuses.

Voici ce qui me porte à faire cette observation. Dans le chapitre d'introduction, on discute des "fondements scientifiques" des modèles. Selon l'auteur, trois principes fondent l'élaboration d'un modèle: les principe d'objectivité, d'intelligibilité, et de rationalité. Attardons-nous au principe d'objectivité, décrit comme suit:

"Le principe d'objectivité spécifie que ce qui constitue la réalité ne correspond pas nécessairement à la manière dont nous la percevons."


Voilà bien une des bases de l'approche scientifique: qu'un examen attentif des faits permet d'élaborer des modèles explicatifs qui sont meilleurs que ce que nous permet une simple connaissance "intuitive", basée sur une observation superficielle. Pas que la connaissance intuitive soit nécessairement mauvaise: l'humanité s'est développés avec elle pendant des centaines de milliers d'années. Ce "modèle du monde" nous a permis de survivre et prospérer en tant qu'espèce, et est en partie un héritage de nos ancêtres dans la chaine de l'évolution. Jusqu'à un certain point, il est inscrit dans notre cerveau dès notre naissance.

Mais une des découvertes de l'humanité est qu'il y a moyen d'aller plus loin. En observant le monde de manière rigoureuse (ce concept reste à préciser...), on découvre que le modèle intuitif ne correspond souvent pas à l'observation. Par exemple, le soleil était perçu depuis toujours comme une boule de feu d'intensité uniforme sur sa surface (principalement parce qu'il est si brillant que nos récepteurs visuels sont complètement saturés et ne peuvent distinguer de variation d'intensité). Cela a contribué à forger une vision du monde où les corps célestes étaient considérés comme "parfaits", vision qui avait cours chez les lettrés européens au XVIIème siècle. Or Galilée, lorsqu'il fit ses premières observations avec un télescope, nota que le soleil était plutôt parcouru par des "taches" sombres. Cette découverte montre bien que "la réalité ne correspond pas nécessairement à la manière dont nous la percevons". Mais au delà de ce simple constat, la découverte de Galilée contribuait à remettre en question la vision du monde qui avait cours alors. D'autres observations allaient dans le même sens : les cratères sur la Lune, les satellites de Jupiter, etc.

Galilée aurait très bien pu rejeter ces observations du revers de la main, et les attribuer à un artefact de son nouvel instrument. Il aurait d'autant plus pu le faire s'il avait été fortement attaché à la vision du monde qui niait l'existence de ces taches. De fait, il aurait pu ne pas rapporter du tout ses observations, et laisser le reste du monde dans l'ignorance. Pour accepter la réalité de son observation, il fallait d'abord qu'il fasse abstraction de ce qu'il aurait voulu voir. C'est là, selon moi, l'essence même du critère d'objectivité.

L'objectivité, en effect, est une des vertus cardinales d'un bon scientifique. Une bonne observation demande que l'on "suspende ses croyances", mais également ses "incroyances". On parle en anglais de "suspended disbelief". Mais cette vertu n'est malheureusement pas toujours pratiquée avec ferveur! On ne compte plus les exemples dans l'histoire des sciences où les valeurs et les croyances d'un scientifique ont influencé son choix d'une théorie plutôt qu'une autre. Quelquefois le résultat est bon, d'autres fois il est désastreux! Je reviendrai là dessus peut-être car c'est un sujet complexe qui est au coeur de mon ouvrage. Disons néanmoins qu'il y a plusieurs raisons qui font que même si Galilée avait refusé de "croire" en ses taches solaires, cela aurait été inutile. La principale raison étant que quelqu'un d'autre les aurait découvertes, mais ça c'est une autre histoire!

Mais revenons au critère d'objectivité. Sa principale utilité est de nous forcer à accepter un modèle qui décrit mieux les observations et fait de meilleures prédictions, même si ce modèle va à l'encontre de nos croyances et valeurs. Autrement dit, il vaut mieux accepter de réviser nos croyances et nos valeurs plutôt que de se priver d'une meilleure connaissance du monde.

Jusque là tout va bien. Sauf que plus loin dans le même chapitre, on discute des critères que doit satisfaire un modèle. Le dernier critère proposé est le "critère de justice". Voici ce que dit l'auteur:

"Les modèles ne sont pas neutres. Ils fondent bien souvent notre perception du monde et conditionnent nos manières d'agir et nos comportements. Ils devraient toujours contribuer à l'édification d'un monde meilleur et non participer à sa dégradation."


Plus loin:

"Un modèle peut être exact et beau, mais avoir des conséquences injustes lorsqu'il est utilisé sans discernement et sans considération des mythes sociaux qui orientent les comportements. Ceux qui concoivent des modèles doivent donc toujours être conscients des conséquences que peuvent avoir l'utilisation de leurs modèles. (...) Deux modèles rigoureusement eacts peuvent avoir des conséquences radicalement opposées quant aux décisions prises par ceux qui s'en servent pour déterminer, par exemple, les orientations futures d'une société."


En quelques phrases, l'auteur vient donc de jeter à la poubelle son critère d'objectivité! En effet, il prône rien moins que l'adoption d'un modèle qui correspond mieux à nos valeurs! Pas étonnant, ensuite, que les sciences dites "humaines" souffrent d'un problème (sinon d'un complexe) de crédibilité!

Un des problèmes est que l'auteur confond le modèle et l'usage qui en est fait. Il s'agit là d'une confusion fréquente. De tout temps, la connaissance a été suspecte car elle peut mener à des utilisations abusives. Les exemples abondent: l'énergie nucléaire, le clonage, etc. etc. Et pourtant l'histoire montre bien que la connaissance est toujours supérieure à l'absence de connaissance pour le bien être général de notre espèce.

De rejeter d'emblée un modèle du monde qui va à l'encontre de nos valeurs (si nobles soient-elles!) a comme conséquence directe de nous empêcher de confronter ces mêmes valeurs, et leur bien-fondé. Dans ce cas-ci, la justice est peut-être une valeur humaine importante, mais comment la définit-on au juste? C'est bien beau parler de "mythes sociaux qui orientent les comportements", mais qui détermine ce que sont ces mythes sociaux? Notre vision de ce qui est juste est-elle un "mythe social"?

D'un seul coup, l'auteur nous fait retomber dans la vision des sociologues du défunt "programme fort", selon laquelle la connaissance scientifique n'est elle-même qu'un mythe social!

Pour cette raison, je trouve que jusqu'à maintenant, ce que j'ai lu dans ce livre sur les diverses théories de la communication ne m'a pas fortement impressionné. En se donnant comme contrainte que les modèles doivent être conformes à nos valeurs sociales, il me semble que les chercheurs dans cette discipline s'empêchent d'approfondir leur sujet jusqu'à pouvoir élaborer des modèles explicatifs qui soient vraiment objectifs.

En particulier, je suis frappé par la prévalence de la notion de "feuille blanche", c'est-à-dire le "blank slate" de Steven Pinker. On tente de décrire la communication entre êtres humains comme si il s'agissait d'une activité, et d'une invention, purement "humaine", et qualitativement distincte de ce qu'on retrouve dans le reste du règne animal, et plus particulièrement chez nos cousins primates. Entre autres, la notion de la communication comme "transfert d'information" me semble totalement simpliste. On évacue, par exemple, toute implication des émotions, alors que les émotions sont à la base de la communication, particulièrement au niveau neuro-cognitif. Tout passe par l'hypo-thalamus! Comment peut-on ignorer ce fait et prétendre être un scientifique de la communication?

Dans l'étude de la communication entre êtres humains, comme dans l'étude de la psychologie, et ultimement de la sociologie, je ne crois pas qu'on puisse faire de progrès notable sans tenir compte à la fois de l'aspect évolutioniste, et de l'aspect neuro-cognitif. Peut-être que j'ai un point de vue un peu trop réductioniste? Non, car je crois qu'en passant au niveau de la psychologie, on découvre des "propriétés émergentes" qui n'apparaissent pas en restant au niveau de la biologie. Mais cela ne veut pas dire qu'on peut "deviner" ces propriétés émergentes en faisant abstraction des niveaux sous-jacents!

Tout ça augure peut-être mal pour quelqu'un qui entreprend un programme d'études dans ce domaine! Mais au contraire, cela me permettra peut-être d'approfondir ma pensée, et de mieux connaître une approche différente qui n'a sûrement pas que des défauts!