La vie au XXIe siècle

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Un proche cousin d'un bonobo du même nom qui, comme moi, tapait sur un clavier pour communiquer.

09 décembre, 2009

Dérives de scientifiques

L'histoire de la théorie des plaques tectoniques est fascinante à plus d'un point de vue. Plusieurs ouvrages ont été écrits sur le sujet, et je crois en avoir lu la majorité.

Naomi Oreskes a écrit peut-être le meilleur compte-rendu de la première "phase" de cette histoire, c'est-à-dire la période où Alfred Wegener a proposé son hypothèse de la dérive des continents, jusqu'à sa mort en 1933, prélude à une longue éclipse jusqu'aux années 60, où la théorie est réapparue dans sa deuxième incarnation (tectonique des plaques).

Oreskes, qui est maintenant plus connue pour sa défense hystérique du "consensus" sur les changements climatiques, aurait pu tirer des leçons de ses propres recherches. Mais c'est là son problème. Toujours est-il qu'elle a elle-même démontré comment l'élite de la communauté géologique a délibéremment fait obstruction à la théorie de Wegener, à tel point qu'il est devenu impossible de publier sur le sujet après les années 30. La géologie a donc stagné pendant près de trente ans.

Mais revenons à Wegener, et à la réception qu'a subie sa théorie dans les années 20. Aucun historien n'a à ma connaissance souligné l'aspect dont je vais parler ici. Ce n'est qu'une théorie, mais je crois qu'il vaudrait la peine de la creuser.

Oreskes a clairement montré que l'opposition la plus féroce à Wegener est venue des géologues américains. Les Britanniques étaient curieux, et quelques-uns, dont Arthur Holmes, clairement sympathiques. Ce dernier proposa d'ailleurs coment un mécanisme de convection pouvait expliquer la dérive. Ailleurs en Europe aussi, la théorie n'a nulle part été aussi vilipendée qu'elle le fut aux États-Unis. Oreskes attribue ce fait à la "culture" méthodologique particulière des géologues américains, et à la façon dont ils approchaient la "preuve" scientifique. Je dois avouer que sa démonstration est très faible. Différents chercheurs abordent les problèmes de différentes façons, et il est difficile de voir comment tous auraient jugé que l'hypothèse de Wegener était irrecevable simplement sur un point méthodologique.

Mais il y a peut-être une autre explication. Pour cela, il faut se remettre dans le contexte des années 20 aux États-Unis. Or cette décennie a été clairement marquée par un autre débat scientifique, cette-fois sur le créationnisme. C'est dans les années 20  (précisément en 1925) qu'eut lieu le fameux procès de Scopes, suite à l'interdiction d'enseigner la théorie de Darwin au Tennessee.  Ce procès fut hautement médiatisé, et est devenu l'emblème du combat entre le "progressisme" de la science contre l' "obscurantisme" des fondamentalistes religieux. Un très bon site sur ce procès se trouve ici.

Or la géologie n'était pas si éloignée que l'on pense du Darwinisme. Darwin lui-même était géologue à ses heures, et l'acceptation de sa théorie dépendait en grande partie de l'estimation de l'âge de la Terre. Selon la Bible (ou en tout cas selon l'interprétation que certains en font), la Terre n'aurait que quelques milliers d'années. Mais dans les quarante années qui ont suivi la parution de "L'origine des espèces", le débat sur l'âge de la Terre a été très acrimonieux. William Thomson (Lord Kelvin) se basait sur sa propre théorie de la chaleur pour estimer un âge entre 20 et 40 millions d'années, ce qui était beaucoup trop court pour expliquer l'évolution des espèces selon la théorie de Darwin. Les géologues, sur la base de leur estimation du taux de dépôt des sédiments, croyaient que la Terre était beaucoup plus âgée, mais étaient tournés en ridicule par les physiciens (et particulièrement Thomson).

C'est Arthur Holmes (encore lui!) qui, utilisant la radioactivité pour la datation des pierres, démontra que la Terre pouvait effectivement avoir plusieurs milliards d'années. Holmes lui-même subit l'ignorance et l'opprobre de ses collègues avant que l'on accepte finalement ses résultats.

Cette victoire des géologues et des darwinistes semblait confirmer non seulement la théorie de la sélection naturelle, mais aussi une vue du passé qu'on appella l' "uniformitarisme", selon laquelle l'histoire géologique est un long fleuve tranquille. Ce courant allait à l'encontre de ce qu'on appelait le "catastrophisme", qui prônait l'existence de plusieurs catastrophes géologiques majeures dans le passé de la Terre. Or ce dernier courant était lui-même lié à ceux qui croyaient à la réalité des écritures bibliques, en particulier le récit du Déluge. Ainsi se construisit l'adéquation Darwin=Uniformitarisme, Religion=catastrophisme.

Or voilà que Wegener arrive avec sa théorie de la dérive des continents, l'exemple parfait (pour certains) du catastrophisme! Et cela au même moment où la théorie de l'évolution faisait l'objet d'un débat acrimonieux aux États-Unis, et d'un procès célèbre qui polarisait non seulement les scientifiques, mais toute la société.

Il y a là, d'après moi, l'explication la plus naturelle pour l'opposition souvent très féroce de plusieurs géologues américains, et même de la fondation Carnegie, qui à l'époque finançait la majorité de la recherche aux États-Unis. Cette même fondation supportait d'autre part toutes les recherches sur l'eugénisme, qui était à l'époque la principale "application" de la théorie de Darwin!

Accepter la théorie de Wegener, c'était, pour les géologues, donner des arguments aux catastrophistes!

Évidemment, en rétrospective, cette opposition était ridicule, puisque la théorie de Wegener ne remettait nullement en doute l'âge de la Terre, bien au contraire. Mais il reste qu'à cause de cette opposition, la communauté géologique fut forcée d'accepter une explication de certains faits géologiques qui était parfaitement intenable, même avec les connaissances de l'époque, et cela pour les trente années qui suivirent.

Ainsi, de nos jours, quiconque émet un doute sur le rôle du CO2 dans le réchauffement récent de la Terre est-il suspecté d'être à la solde de l'industrie pétrolière (qui, ironiquement, supportait la théorie de Wegener à l'époque!). Et une certaine élite scientifique se croit justifiée d'exclure et de vilipender certains points de vue qui vont à l'encontre de son idéologie (et de l'idéologie "progressiste" dominante).

Plus ça change, plus c'est pareil...