La vie au XXIe siècle

La nature humaine, l'évolution, l'univers...

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Emplacement : Tomifolia, Québec

Un proche cousin d'un bonobo du même nom qui, comme moi, tapait sur un clavier pour communiquer.

26 janvier, 2010

La vie comme système évoluant

Kepa Ruiz-Moreno et ses collègues tentent, comme plusieurs avant eux, d'offrir une définition de la vie. C'est un exercice qui m'intéresse. On peut, évidemment, se demander en quoi une telle définition peut être "utile", et en quoi il s'agit d'un exercice purement académique. Le danger de contraindre le phénomène de la vie dans une définition est d'exclure d'autres phénomènes qui lui ressemblent, mais pas suffisamment pour satisfaire à ladite définition. Je pense, par exemple, aux virus.

Mon propre intérêt n'est donc pas dans une définition, inclusive ou exclusive. C'est plutôt que si on veut décrire un autre système en faisant une analogie avec le système du vivant, il faut bien circonscrire quelles sont les caractéristiques et propriétés fondamentales de ce système, pour fins de comparaisons.

Cet autre système, c'est celui des artefacts technologiques. L'analogie en question a rapport avec le caractère "évolutif" des deux systèmes (organismes vivants et artefacts technologiques). J'aimerais, en particulier, aller plus loin qu'une simple analogie de surface. En effet, l'analogie entre l'évolution de la technologie et celle des organismes vivants a déjà fait l'objet de nombreux travaux. Le problème, c'est qu'on se bute généralement à des difficultés apparemment insurmontables aussitôt qu'on essaie d'établir cette analogie sur des bases solides en classant, par exemple, les deux systèmes sous un parapluie de "darwinisme généralisé". En particulier, l'effet de l' "intelligence" humaine fait paraître l'évolution de la technologie comme "lamarckienne" plutôt que darwinienne, puisque la dite intelligence ferait disparaître l'effet du hasard, apparemment fondamental à la sélection "naturelle".

D'où, évidemment, ma réticence devant l'adoration de Darwin.

Car la seule voie de sortie est de mettre de côté le darwinisme comme principe fondateur de l'évolution du vivant. Ainsi, la définition de la vie de Carl Sagan  (cité par Ruiz-Mirazo et al.) comme: "a system capable of evolution by natural selection" met toute l'emphase sur le darwinisme, au point de créer, d'après moi, des oeillères conceptuelles. C'est cette obsession de la "sélection naturelle" qui m'agace, visiblement. Elle a, d'après moi, des racines philosophiques profondes. Car elle vient toujours avec la notion de "progrès", et celle de "supériorité". Certains individus sont "meilleurs" que les autres, car mieux adaptés. Mon agacement n'est pas tant dans une vision égalitaire romantique qui voudrait placer les faibles et les forts sur un pied d'égalité. Elle est plutôt dans les contradictions internes d'une telle vision, lorsqu'on cesse de considérer une espèce en isolation du reste du système.

D'ailleurs, la plupart des biologistes seraient d'accord avec moi, quoique...

Quoique... le langage des biologistes évolutionistes demeure imprégné d'une pensée hiérarchisante et téléologique. On rejette le "design intelligent" comme la pire des hérésies, mais on ne cesse de parler de la nature comme un être suprême guidant l'évolution, trouvant des solutions astucieuses, développant des merveilles.

Ruiz-Mirazo et al. n'échappent pas à cette tendance. Ainsi, commentant sur les caractéristiques des organismes vivants, ils disent:

"there is a major bottleneck that can only be overcome if new, more sophisticated mechanisms of autocatalysis are developed by autonomous systems. (...) The solution is to generate functional components that perform 'template activity' ".

Cette phraséologie fait clairement apparaître les proto-organismes comme cherchant, et trouvant, une solution pour devenir éventuellement de vrais organismes vivants. Plus tard, ils disent:

"Life must learn how to make best use of what is available and also of what it continuously produces."

Ici, "la vie" est devenue une sorte d'être intelligent et apprenant (on pense à "Siva" de Philip K. Dick).

Or précisément, toutes ces caractéristiques des systèmes ou des organismes vivants sont apparues toutes seules. Tous les biologistes le savent et le concèdent aisément, mais c'est plus fort qu'eux.

La même obsession du "progrès" ressort lorsqu'ils parlent de complexité. Une plus grande complexité est toujours vue, implicitement, comme un progrès. Un article sur ce sujet commence par une hiérarchie de la complexité qui culmine, oh surprise!, par la complexité "immense" des sociétés humaines !!! Lorsqu'on lit cela, on n'a même plus le goût d'aller plus loin, tellement l'aveuglement est grand. Car empiriquement, les sociétés humaines sont hyper-simples, lorsqu'on les compare à d'autres.

De toutes façons, toute cette question de complexité ne fait que commencer à être investiguée d'une façon sérieuse.

Prenons cette simple constatation: la majorité de la biomasse terrestre est composée d'organismes unicellulaires. Des bactéries, merde!... Si, donc, la complexité représentait un tel "progrès", comment explique-t-on que les organismes qui ont le plus de succès soient les plus simples!

Mais bon, Ruiz-Mirazo et al. ont néanmoins le mérite de proposer une définition qui fait ressortir l'aspect complexe du système, mais aussi, point crucial pour moi, de poser le "code" comme élément fondamental du vivant. Pas en ces mots, mais presque. Leur définiton finale est:

" 'life' - in the broad sense of the term - is a complex collective network made out of self-reproducing autonomous agents whose basic organization is instructed by material records generated through the evolutionary-historical process of that collective network."

Ainsi, ils distinguent le métabolisme et son organisation des "instructions" qui le guident. Ils reconnaissent également que la vie est une collection d' "individus" qui interagissent.

Mon point est également que si on considérait, dès le départ, le système du vivant comme un tout, qui évolue comme un tout, on arriverait peut-être à une meilleure compréhension qu'en regardant les "espèces" en isolation. Car ce dernier point de vue suppose toujours que ce qu'on appelle le "fitness landscape" (paysage adaptatif?) est statique, et que les espèces s'y déplacent à la recherche d'optimums locaux. C'est peut-être un problème facilement résolvable, mais ce ne peut être qu'un cas particulier, car ledit paysage change en même temps. On pourrait même poser que les différentes composantes sont toujours en équilibre, mais que c'est le paysage lui-même qui évolue. Au lieu, donc, de rechercher comment une telle espèce a fait pour mieux s'adapter au paysage, on pourrait chercher quelles sont les caractéristiques du mouvement du paysage, et comment il réagit aux inévitables perturbations.

Mais présentement, des systèmes "complexes" mais relativement "simples" comme un "prédateur-proie" ne font que commencer à être investigués, par exemple avec des simulations numériques. Un article tel que "Tracking the Red Queen", de Dave Cliff et Geoffrey Miller, qui date quand même de 1995, montre déjà des observations surprenantes, comme par exemple que la "performance" respective n'augmente pas nécessairement avec le temps. Et ce n'est là qu'un systeme binaire!

Finalement, les biologistes n'ont pas le choix d'aborder la question de la complexité. Mais il me semble qu'ils avanceraient peut-être plus vite en se débarrassant des "oeillères" darwiniennes.

Références:

Dave Cliff et Geoffrey Miller, "Tracking the red queen: Measurements of adaptive progress in co-evolutionary simulations", dans "Advances in Artificial Life", vol. 929, pp. 200-218 (1995)
Kepa Ruiz-Mirazo, Juli Pereto, Alvaro moreno, "A Universal Definition of Life: Autonomy and Open-ended Evolution", Origin of life and evolution of biosphere", vol. 34, pp. 323-346 (2004).

20 janvier, 2010

À propos de Darwin

J'ai un gros problème avec Darwin. Pas l'homme lui-même, je ne l'ai pas connu et il est mort depuis trop longtemps. Bien sûr, on peut s'objecter à ce qu'il a dit sur la hiérarchie des races humaines et sur la nécessité de l'eugénisme, mais bon, c'était un homme de son temps, un bon anglais raciste.

Mon problème n'est pas tant avec ce qu'il était qu'avec ce qu'il est devenu. Un symbole. Un étendard. Un "crois ou meurs". La théorie de l'évolution est devenue l'arme préférée des grands prêtres de la communauté scientifique, et de leur cohorte de vassaux, pour soumettre le bon peuple. Le combat contre les méchants créationistes est ainsi comme une guerre au terrorisme: vous êtes avec nous, ou vous êtes contre nous. Mais surtout, ne posez pas trop de questions.

C'est ainsi qu'une théorie qui est pleine de trous se prétend être la plus grande réussite de "la science". Évidemment, ni une théorie, ni "la science" ne peuvent prétendre à quoi que ce soit. Encore une fois, ce sont les grands prêtres en action, et non des entités abstraites.

Toujours est-il que la situation a dégénéré au point où il est très difficile de se défaire du "darwinisme". Un peu comme pour les changements climatiques, on peut montrer qu'il y a des failles importantes, ou même que toute la théorie ne tient pas, et conclure en affirmant quand même sa foi dans la "sélection naturelle", et dans la grandeur du vieux Darwin.

L'autre jour, il y avait un autre de ces documentaires sur PBS à propos de Darwin. Comme toujours, les images (en HD) étaient magnifiques. Et comme presque toujours, le commentaire était totalement pourri. On présentait la sélection naturelle d'une manière qui semble à première vue logique, mais qui, si on y pense le moindrement, démontre à quel point cette vision naïve ne tient pas la route.

Voici: parmi les îles Galapagos, il y en a où poussent des plantes aux graines très grosses et très dures. Il faut donc à un oiseau un gros bec épais pour les briser. D'où sélection, évolution, etc. Et sur d'autres îles poussent des fleurs aux corolles profondes, qui demandent des becs longs et fins. D'où re-sélection et re-évolution vers ce type de bec. Merveilleux. Flash de génie de Darwin (enfin, un flash qui lui a pris quelques décennies...).

Bon. Mais si on prend le problème à l'envers, c'est-à-dire du point de vue de la plante elle-même, celle qui a de grosses graines dures devrait évoluer vers un autre type de graine pour échapper aux oiseaux au gros bec. Pourquoi cela ne s'est-il pas produit? Idem pour toutes les espèces qui dépendent de la prédation d'une autre espèce. Ainsi, on parle de l'effet de la "reine rouge", une sorte de fuite en avant qui poussent les espèces interdépendantes à se surpasser constamment.

Mais ce qui ressort surtout, c'est qu'on ne peut considérer l'évolution d'une seule espèce en isolation de son interaction avec les autres espèces. C'est tout le système qui évolue! Mais Darwin n'a jamais pensé à cela. Ce n'est que tout récemment qu'on commence à réaliser qu'une théorie "holistique" de l'évolution peut être une alternative puissante à la conception darwinienne, ou néo-darwinienne. Ainsi, les travaux de Stuart Kaufman, ou Robert Ulanowicz, ce dernier venant du domaine de la modélisation des écosystèmes. Je n'ai pas eu assez de temps encore pour approfondir leurs vues (c'est très mathématique), mais il me semble qu'il y a là une avenue prometteuse.

Et s'il fallait, au bout du compte, jeter à la poubelle toute l'idée de sélection naturelle, et de la "survie du plus fort"? S'il fallait admettre que Darwin nous a mené dans un cul de sac? Qu'il faut tout reprendre à zéro? Qu'adviendrait-il alors de cette guéguerre aux créationistes? On ne pourrait plus brandir Darwin à tout bout de champ. Il faudrait un autre héro.

Quelques remarques pour finir. J'essaie de décrire la technologie comme un type de système évoluant d'une façon analogue aux systèmes vivants. Rien de nouveau là-dedans, plusieurs se sont déjà penchés là-dessus, quoiqu'avec un succès mitigé. On se frappe toujours au même problème du supposé "lamarckisme" de l'évolution de la technologie. Lamarck est, pour une raison que j'ignore, un tabou pour les évolutionistes. Mais bon, je pense que j'ai trouvé comment montrer que cela n'a rien à voir, et que les systèmes vivants et technologiques partagent des caractéristiques fondamentales, et donc qu'ils peuvent être décrits avec les mêmes outils théoriques, à condition de généraliser ces outils. Mais dans toute cette réflexion, c'est la réalisation qu'une approche holistique est nécessaire qui m'a poussé à chercher une telle approche dans la littérature.

Et comme la Chine n'est jamais bien loin dans mes pensées, il est impossible de ne pas réaliser que la pensée et la philosophie chinoise étaient bien plus conscientes de la nécessité d'une approche holistique. On ne peut pas savoir aujourd'hui quelle direction cette philosophie aurait prise si ce n'avait été de l'hégémonie de la pensée occidentale et de son réductionnisme. Mais il demeure dans le taoïsme en particulier des éléments qui sont terriblement "modernes" dans leur approche de la complexité et de l'évolution. Tout ça reste à ficeler dans un tout cohérent, mais j'espère pouvoir en faire une base pour la présentation de mon futur ouvrage (toujours aussi virtuel...).

09 janvier, 2010

Connaissance publique

Quand on y réfléchit un peu, la caractéristique fondamentale de ce qu'on appelle "la science", ce n'est ni la "méthode", ni la "mathématisation", ni rien de tout cela. La caractéristique fondamentale de ce qu'on appelle "la science", c'est d'être publique.

En effet, en imaginant encore que j'aie élaboré quelque théorie qui assimile, par exemple, la physique quantique à la relativité générale, si je ne la rend pas publique (comme dans "publier"), alors elle n'existe pas comme "science". Pire, comme je le disais avant, elle devrait maintenant être publiée au bon endroit, c'est-à-dire dans une revue scientifique accréditée.

Paul A. David, dans un essai intitulé "The Historical Origins of Open Science", tente de donner une explication sociologique au fait que les scientifiques (ou philosophes) aient dû rendre publiques leurs trouvailles et leurs spéculations. Vivant du patronage des princes, et particulièrement en Europe où il existait une compétition entre de multiples royaumes, cités-états, principautés, les philosophes se devaient de "publiciser" leurs talents (voilà maintenant qu'on peut associer "publicité" à "public" et à "publier"). Un ouvrage publié pouvait être évalué par leurs pairs, présumément experts eux-aussi. Cela pouvait par la suite contribuer à établir leur réputation.

Pamela O. Long a quant à elle approfondi ce thème dans "Openness, secrecy, authorship", où elle recense la littérature technique et scientifique au fil des siècles en Europe. Par exemple, elle montre que les ouvrages sur la technologie minière, écrits en Italie ou en Allemagne du sud au 15e-16e siècle avaient comme but principal de "vulgariser" la technologie pour les investisseurs potentiels, autant que de les rassurer sur les compétences des ingénieurs miniers.

La publication de spéculations philosophiques n'est donc pas nouvelle. La publication d'ouvrages techniques non plus. De plus, l'usage de l'imprimerie pour publiciser ses talents se retrouve aussi en Chine, où bien sûr l'imprimerie était beaucoup plus ancienne qu'en Europe. La publication de commentaires sur les classiques du confucianisme servait aux lettrés qui n'avaient pas encore de position officielle. Elle leur assurait aussi un revenu. La publication d'ouvrages techniques était cependant rare en Chine, pour la même raison qu'elle est devenue fréquente en Europe: il n'y avait pas là-bas de concurrence entre états et princes. Ainsi, on ne retrouvait en Chine qu'un bureau d'astronomie, celui de l'empereur. L'État chinois imposait un monopole sur ce domaine, car la constitution du calendrier était la prérogative de l'empereur. Pas par malice, mais pour de simples raisons d'efficacité de gestion. Notre monde moderne a, de même, un calendrier uniformisé, ce qui n'était pas nécessairement le cas en Europe pré-moderne.

Ainsi, lorsqu'on cherche à faire l'histoire de "la science", on se bute inévitablement à la rareté des sources, car tout n'a pas été "publié". La tâche devient plus facile du moment qu'apparaissent les périodiques scientifiques, comme les comptes-rendus de la Société Royale, ou de l'Académie des sciences. Comme il s'agit là d'inventions européennes, toute science faite en dehors de ce cadre ailleurs dans le monde devient dès lors "inexistante".

Par contraste, la technologie, qui se veut "application" plutôt qu' "explication", n'a pas besoin d'être publiée. Ce qui compte, c'est l'artefact, qui tient lieu ici de "publication". L'artisan n'a pas intérêt à révéler ses secrets. à travers les âges, la connaissance technologique s'est transmise de maître à apprenti, bien souvent sans l'usage des mots, par simple imitation. Lorsqu'elle est publiée, la connaissance technologique l'est encore une fois pour des raisons de publicité.

Par moments, il existe donc un flou entre ce qui est explication et ce qui est application. Ce flou devient profond dans le périodes d'effervescence technologique, comme en Angleterre au 18e siècle, où on ne sait plus trop qui est un inventeur et qui est un philosophe. James Watt est au départ un artisan, un fabricant d'instruments. Puis il améliore le moteur à vapeur, et devient un inventeur. Puis il s'interroge sur la nature de l'eau, et on le qualifie de philosophe. Durant cette courte période, l'accès au titre de philosophe devient soudain plus facile... mais dès le 19e siècle, la porte se referme, et la brèche s'agrandit entre les nouveaux philosophes et les inventeurs. Cette brèche existe au sein des individus mêmes. William Thomson (lord Kelvin) est connu comme le père de la thermodynamique, mais il mena parallèlement une carrière lucrative d'inventeur (boussole, ligne télégraphique sous-marine), où ses talents de théoriciens ne lui servaient pas à grand chose.

Aujourd'hui encore, les grands prêtres de "la science" se contentent de "publier". Lorsqu'ils deviennent inventeurs, et fabriquent des artefacts, et surtout si de surcroît ils cessent de "publier", ils s'exposent à être exclus de la prêtrise. Ce fut mon triste cas.